Mesdames et messieurs, fidèles auditeurs, bonjour. Aujourd’hui Jean-Luc Rognon pose ses questions à Bernardo Cabrera, directeur de la BU Objenious chez Bouygues Telecom, sur le thème : « LTE-M et NB-IoT, de nouvelles technologies qui dynamisent les applications IoT en supply chain ». Messieurs la parole est à vous.
Jean-Luc Rognon : Bonjour Bernardo.
Bernardo Cabrera : Bonjour Jean-Luc.
Jean-Luc Rognon : Vous êtes depuis 2019 le patron de la BU Objenious chez Bouygues Telecom. Avant cette date on connaissait surtout Objenious comme l’opérateur du réseau ultra basse consommation LoRaWAN, avec quelques belles réalisations y compris en supply chain, dans le retail, dans l’industrie, mais depuis 3 ans, le positionnement de la marque Objenious a semble-t-il évolué. Expliquez-nous un peu.
Bernardo Cabrera : Effectivement, Objenious est aujourd’hui la marque dédiée à l’internet des objets de Bouygues Telecom, je dirais quel que soit le type de technologie. Objenious est un opérateur de connectivité IoT dit multi-technologies. Notre leitmotiv est d’accompagner des clients dans leurs projets IoT et dans leurs choix technologiques. On est dans une démarche d’accompagnement, d’expertise et aussi d’éclairage de l’écosystème parce que quand on parle d’IoT, on parle de capteurs, on parle de modules, on parle d’applicatifs métiers, on parle d’interconnexion des systèmes d’innovation et au final, au centre de tout ça, il y a la connectivité ou les connectivités. Et par rapport à cette démarche d’expertise et d’accompagnement, on propose un portefeuille complet de technologies de connectivité, 2G, 3G, 4G, 5G et nous sommes actuellement le seul opérateur en France à proposer à la fois LTE-M et NB-IoT. Encore une fois la technologie n’est qu’un moyen, ce n’est pas une finalité en soi.
Jean-Luc Rognon : On parle de technologies, j’imagine aussi qu’on va parler de cas d’usage et notamment en supply chain, en quoi cette neutralité technologique change-t-elle la donne ?
Bernardo Cabrera : Le fait de proposer un portefeuille diversifié et complet de technologies complémentaires, ça permet de répondre aux enjeux du supply chain et de l’industrie 4.0. Quand on parle en fait de supply chain et d’industrie 4.0, la promesse c’est quoi au final ? C’est la promesse d’une organisation plus flexible et plus interconnectée et il n’y a pas un seul moyen d’interconnecter ces différents use cases pour gagner en productivité et en fiabilité. Finalement, on a d’un côté des use cases qui sont plutôt au sein des entrepôts, au sein des chaînes de fabrication, pour améliorer les processus de fabrication, pour améliorer la traçabilité des pièces, et puis, en dehors de l’usine ou des entrepôts il y a des enjeux qui sont plutôt liés à la chaîne logistique et donc qui sont liés à la traçabilité au-delà : améliorer les cadences de livraison, fiabiliser les réceptions de matériel, etc. Et donc on voit bien qu’il n’y a pas un seul cas d’usage mais plusieurs cas d’usage et pour y répondre il faut un portefeuille diversifié de technologies. Les technologies, encore une fois, ne sont qu’un moyen, justement pour interconnecter tout ça, au final, ce que veulent les clients ce sont différents cas d’usage qui se parlent et qui permettent de répondre à leurs besoins de productivité ou de fiabilité.
Jean-Luc Rognon : Alors c’est vrai qu’on était habitué, enfin habitué ce n’est peut-être pas le bon mot, au réseau LoRaWAN dont vous êtes un opérateur et maintenant vous nous parlez de nouveaux réseaux, donc LTE-M, NB-IoT, pour internet des objets, internet of things. Qu’est-ce qu’ils apportent de plus que les technologies telles que LoRa ou Sigfox, qu’on appelait les technologies « LPWAN » ?
Bernardo Cabrera : Effectivement Jean-Luc, ce sont deux nouvelles technologies ou devrais-je dire plutôt, ce sont deux nouvelles technologies en France. En fait, elles sont déjà fortement développées, en cours de déploiement à l’étranger. Au moment où on se parle il y a déjà plus de 160 réseaux dans le monde qui utilisent ces deux types de technologie. Donc ce qu’elles apportent c’est aussi ça, c’est le fait d’avoir une interopérabilité qui est déjà là, avec plusieurs réseaux dans le monde, des déploiements plus faciles partout dans le monde et puis ce qui va avec, c’est à dire une industrialisation plus forte et finalement des économies d’échelle qui vont être de plus en plus importantes pour tous les acteurs de l’écosystème qui encore une fois vont des capteurs, des modules, des applications métiers, jusqu’à l’interconnexion des systèmes d’information. Alors elles peuvent avoir des caractéristiques techniques différentes mais au final elles sont très complémentaires.
Jean-Luc Rognon : Mais alors les deux technologies, LTE-M et NB-IoT s’appuient sur les réseaux 5G ?
Bernardo Cabrera : En fait, ce sont des technologies qui existent déjà sur le réseau 4G en France et qui seront disponibles aussi dans la norme 5G et sur le réseau 5G standalone, ce qui apporte en plus cette visibilité d’antan, cette pérennité, qui est un élément important de tous les projets IoT et en particulier de la supply chain de l’usine 4.0 parce qu’on est sur des logiques industrielles avec des cycles extrêmement longs.
Jean-Luc Rognon : Sans rentrer dans des détails trop techniques, quelles sont les caractéristiques de ces deux nouvelles normes ? Si on se place du point de vue métier, laquelle convient le mieux à quel cas d’usage finalement ?
Bernardo Cabrera : La réalité sur le terrain est toujours plus subtile mais je vais essayer de répondre et de catégoriser ces deux types de technologie tout en ayant en tête que nous on propose des technologies pour développer les projets IoT, mais finalement c’est le client qui dispose. LTE-M va plutôt répondre à des applications qu’on va dire « orientées temps réel ou critique » qui vont avoir besoin d’un peu plus de débit, donc elles vont être particulièrement bien adaptées aux informations temps réel des chaînes de production. Ça va aussi être adapté aux enjeux qui sont en dehors des entrepôts et de la chaîne, avec un tracking presque temps réel ou éventuellement à la demande de certains types d’assets. NB-IoT est une technologie qui va peut-être avoir une meilleure sensibilité concernant toutes les problématiques pour pénétrer à l’intérieur des bâtiments et notamment lorsque c’est cloisonné, que c’est difficile d’atteinte. Donc c’est particulièrement bien orienté pour les enjeux de type maintenance prédictive, qui n’auront peut-être pas besoin d’envoyer de l’information critique à l’instant t mais qui vont être parfois un peu plus enfoui.
Jean-Luc Rognon : Qui n’ont pas forcément besoin de gros débit non plus ?
Bernardo Cabrera : Et qui n’ont pas forcément besoin de gros débit. En tout cas c’est toujours une pondération entre différents aspects techniques. On va parler de pénétration à l’intérieur des bâtiments, on va parler de débit… Les deux technologies ont cette caractéristique commune d’être très interopérables à l’étranger donc c’est un enjeu aussi important pour le supply chain management et elles sont au final complémentaires. Si par exemple l’attente numéro 1 est celle de couverture, on peut imaginer des clients, et c’est le cas, qui déploient à la fois du NB-IoT et LTE-M parce qu’ils cherchent vraiment à avoir le mètre de couverture le plus précieux possible.
Jean-Luc Rognon : Concrètement, comment se déroule un projet IoT pour un client ? Ça dure combien de temps ? Quels sont les écueils à éviter ?
Bernardo Cabrera : Quand on parle de projet IoT, je pense que vous êtes bien placé pour le savoir, on parle souvent de POC ou de test. Je pense que l’un des écueils c’est de trop se concentrer sur cet aspect-là. Le POC et le test sont évidemment des parties importantes du projet IoT et peuvent prendre une durée plus ou moins importante mais je pense que ce qui est important c’est notamment tout le travail qui doit être fait en amont et la caractérisation du projet par rapport à son besoin à un instant t. Généralement ça répond à un enjeu très précis, d’optimisation des chaines de fabrication, d’amélioration de la cadence des chaines de fabrication, etc. mais ce qu’il faut toujours avoir en tête au début d’un projet c’est le périmètre, c’est commencer à voir au-delà de ce POC éventuel. Est-ce que je vais avoir des problématiques qui se posent au-delà de l’entrepôt ? Est-ce que je vais avoir des problématiques qui se posent à l’international ? C’est souvent le cas dans le supply chain qui a une dimension très internationalisée. Est-ce je vais avoir besoin d’évolutivité ? Je peux avoir un besoin à un moment donné très technique mais mon enjeu business peut évoluer au cours du temps. On peut imaginer ça par exemple dans le domaine du pneu. Les fabricants de pneus, au départ, se posaient plutôt la question de remonter des informations techniques du pneu, et on se rend compte que finalement, l’industrie est en train d’évoluer vers une servilisation du produit où finalement on va vendre son pneu potentiellement différent de l’usage initial du pneu. Anticiper ça c’est la clef de voûte des projets IoT et finalement on constate que quand on a bien pensé au départ, la partie POC et la partie test sont assez courtes.
Jean-Luc Rognon : Question d’actualité. On voit certains acteurs français de l’IoT soit en difficultés, en redressement judiciaire, soit en cours de rachat et certaines explications avancées vont plutôt du côté de la pénurie de composants électroniques, qu’en pensez-vous ?
Bernardo Cabrera : En tout cas dans l’environnement auquel est confronté aujourd’hui Bouygues Telecom, c’est un sujet qui, à priori, n’a pas encore trop perturbé les acteurs. De toute manière, la pénurie des composants c’est quelque chose qui transcende tous les secteurs d’activité IT et technologiques. Il est vrai que dans le domaine de l’IoT, on est souvent sur des durées de cycles assez longs, donc aujourd’hui les acteurs n’ont pas été confrontés, ils ont plutôt bien pu anticiper ces besoins-là, anticiper notamment le sourcing. Le sujet par contre, avec sa durée qui se maintient dans le temps, est peut-être devant nous, c’est peut-être maintenant seulement que l’on va avoir les premiers impacts qui peuvent être techniques pour une chaine d’approvisionnement, qui peuvent être financiers. C’est quelque chose qui est plutôt devant nous dans le domaine de l’IoT, contrairement à ce qu’on a pu constater par exemple au Covid, où on a vu qu’il y avait un certain ralentissement en tout cas pour les nouveaux projets alors que certains projets en déploiement étaient accélérés notamment au niveau de la maintenance industrielle.
Jean-Luc Rognon : Dernière question, sur les coûts. Finalement, dans l’Internet des Objets on dit aussi qu’on va avoir une diminution des coûts avec le temps, on en est où aujourd’hui en termes de centimes d’euro par objet suivi ? D’euros par capteur ? Est-ce que vous avez quelques ordres de grandeur à nous donner ?
Bernardo Cabrera : Alors vous avez raison en tout cas de parler de capteurs, de suivi, de métiers et de connectivité, finalement il y a plusieurs briques. Il faut imaginer que la connectivité en général c’est un peu moins de 10% de la valeur globale d’un projet IoT, c’est quelque chose qui est plutôt en baisse. Néanmoins quand on parle par exemple de tracking d’asset, force est de constater qu’aujourd’hui les solutions sur le marché sont à quelques unités d’euro par mois selon l’usage. Parce que le tracking d’asset est finalement quelque chose d’assez hétérogène, on va peut-être parfois être plutôt sur l’inventaire de certains assets industriels et dans certains cas on va être sur un tracking très précis et très fréquent de l’asset donc évidemment les prix et les services ne sont pas exactement les mêmes. On est à quelques unités d’euro aujourd’hui. Les capteurs jusqu’ici étaient encore, sont encore, au-dessus de quelques dizaines d’euros, c’est quelque chose qui est plutôt en baisse et il est certain, encore une fois, que l’arrivée de technologies, en particulier NB-IoT et LTE-M, mais je pense à NB-IoT avec des centaines de millions de capteurs qui sont déployés chaque trimestre en Chine, ça aide justement à cette baisse avec des économies d’échelle importantes qui font que les capteurs seront très probablement en dessous de la dizaine d’euros ou de dollars très prochainement.
Jean-Luc Rognon : En espérant que la pénurie de composants ne s’éternise pas.
Bernardo Cabrera : Alors la pénurie des composants est un élément majeur, il peut jouer selon les acteurs dans un sens ou dans l’autre, avec cette capacité d’anticipation, mais en tout cas, effectivement, il peut peser. Aujourd’hui globalement, la baisse est quand même là.
Jean-Luc Rognon : Merci beaucoup Bernardo Cabrera.
Bernardo Cabrera : Merci Jean-Luc.
Jean-Luc Rognon : A très vite pour un prochain rendez-vous podcast de Supply Chain Magazine.